Pause

Nous agissons de manière contradictoire.
Notre mode de vie est entouré de stimulations permanentes provenant – bien souvent – des technologies numériques. Cet environnement nous enferme dans une cage dorée où notre attention devient une marchandise.
Les moments d'accalmie sont rares, l'esprit est agité, notre attention est surmenée. Dans ce déchaînement de stimulations constantes, bienheureux est celui qui maîtrise son âme et la dirige vers ce qu'il y a de mieux pour elle.
Notre capacité d'attention – cette ressource si précieuse – reflète notre degré de concentration. Si vous ne vous occupez pas d'elle, elle deviendra la proie d'un système qui prospère sur notre dispersion mentale.
La question est désormais: comment pouvons-nous la reconquérir ?
Le vol silencieux de notre temps
Pour comprendre l'ampleur du défi, observons nos journées.
Scroller pendant une heure sur des vidéos courtes procure des sensations de bonheur immédiat.
Ces sensations de bonheur s'interrompent – très souvent – aussi vite qu'elles ont commencé. Le pire, c'est qu'on est capable de faire ça plusieurs fois par jour, plusieurs jours d'affilés. Le risque à long terme, c'est de se rendre compte (trop tard) qu'on vient de perdre une chose qu'on ne pourra jamais récupérer : notre temps.

Mais pourquoi restons-nous piégés dans ce cycle de consommation numérique malgré ce constat évident ? La réponse se trouve en partie dans notre neurochimie.
Dans son étude "la capacité de synthèse de la dopamine au niveau striatal reflète l'activité sociale sur smartphone", le neuroscientifique Andrew Westbrook, dévoile le mécanisme neurochimique derrière ces gratifications instantanées.
En utilisant l'imagerie cérébrale, il révèle que l'usage intensif des réseaux sociaux réduit la synthèse de dopamine dans le putamen, une zone du cerveau, cruciale pour la motivation.
Les résultats de son étude démontrent que l'activité dans le putamen diminue de 30 % chez les grands utilisateurs d'applications sociales.
Briser le système (d'exploitation)
Face à cette manipulation, une question s'impose : comment reprendre le contrôle ? La réponse commence par une prise de conscience fondamentale : pour se défaire de son enchaînement, il faut déjà être conscient de ses chaînes.
Tous les jours, nous agissons en pilote automatique. Lorsque vous prenez la route de votre travail, vous ne réfléchissez pas à l'itinéraire que vous allez emprunter - vous connaissez la route et votre cerveau agit sans même que vous ayez à faire d'effort de réflexion.
De la même manière, vous prenez votre smartphone, puis vous ouvrez {insérer ici une application addictif}, et votre temps défile à une allure vertigineuse. Ces automatismes se sont installés progressivement, redessinant nos habitudes et nos réflexes quotidiens.
Ce phénomène est appelé "chunking" par les neuroscientifiques, il s'agit d'un processus par lequel notre cerveau convertit des séquences d'actions en routines automatiques. Selon une étude de l'Université de Duke, près de 45% de nos comportements quotidiens sont en réalité des habitudes comportementales.
Le psychologue Daniel Kahneman explique ce procédé par la théorie des deux systèmes de pensée :
- Système 1: rapide, intuitif et automatique;
- Système 2: lent, réfléchi et analytique.
Dans notre routine quotidienne, le Système 1 prend naturellement le dessus afin de limiter sa consommation énergétique.
Sortir de ce pilotage automatique commence par une prise de conscience ; l'observation de nos comportements.
(Re)découvrez l'ennui
Avez-vous remarqué comment notre patience face à l'ennui a évolué ?
Rester cinq minutes dans une pièce seul, sans écran, est devenu presque insupportable pour beaucoup d'entre nous, une expérience menée à l'Université de Virginie illustre parfaitement cette phobie.
Dans cette expérience, publiée dans Science, 67% des participants ont préféré s'infliger des chocs électriques plutôt que de rester seuls avec leurs pensées pendant quinze minutes.
Flippant.
Pourtant, notre cerveau a besoin de ces moments où il digère toutes les informations accumulées durant la journée. En réalité, l'ennui (ou l'inaction) est particulièrement utile.
Le neurologue Marcus Raichle a découvert, en 2001, ce qu'il appelle le réseau du mode par défaut. Ce réseau, qui s'active pendant les moments d'inactivité, présenterait un certain nombre d'avantages :
- Augmentation de 23% de la résolution créative de problèmes
- Consolidation des souvenirs émotionnels
- Simulation mentale de scénarios futurs

Je suis particulièrement convaincu par les bienfaits de l'ennui.
Il m'arrive de prendre 15 minutes après ma journée de travail – tout seul – lorsque j'en ressens le besoin. Ca m'aide à déterminer ce qui mérite le plus mon attention en fonction de mon état : un match de foot, écrire un article, un documentaire, une partie de jeu vidéo, une vidéo etc.
En faisant des recherches sur le sujet, j'ai appris qu'une étude avait été réalisée par l'Institut de neurosciences cognitives de Marseille à ce sujet dont voici les résultats:
- +31% de créativité après 2 semaines
- Réduction de 25% du stress perçu
- Amélioration de 18% de la qualité du sommeil
Pour autant cela ne veut pas dire que vous devriez ne rien faire, il est tout aussi important d'être actif, et de se divertir... intelligemment.
Se divertir intelligemment
Mon propos ne vient pas bannir toutes les sources de divertissement.
J'ai plutôt l'habitude d'utiliser ces moments pour me détendre et apprendre en étant acteur plutôt que consommateur passif. Contrairement au scroll, certaines activités numériques stimulent les capacités exécutives :
- Jeux vidéo narratifs - Ces expériences interactives engagent vos capacités d'analyse et de décision. Contrairement aux jeux d'action, ils demandent une réflexion approfondie à chaque embranchement narratif, renforçant ainsi les connexions neuronales liées à l'analyse stratégique.
- Lecture - La lecture active simultanément cinq aires cérébrales, notamment celles responsables du langage, de la visualisation et de l'empathie. La lecture est l'une des activités les plus complètes pour le cerveau. Elle améliore le vocabulaire et les structures linguistiques, et renforce la capacité de concentration dans un monde de plus en plus fragmenté.
- Documentaires et reportages - Ils déclenchent "l'apprentissage par insight" – ces moments d'illumination où vous percevez soudainement les connexions entre plusieurs concepts. Certains, comme "The Social Dilemma", ont transformé les comportements de millions de spectateurs.
- Livres audio : Ils transforment des moments habituellement perdus (transports, tâches ménagères) en opportunités d'apprentissage. Les formats audio stimulent l'imagination auditive et la mémoire verbale. Pour maximiser les bénéfices, privilégiez les ouvrages de fond.
Le déclic
La reconquête de notre attention commence souvent par un moment d'éveil soudain.
Comme un interrupteur qui bascule, ce terme emprunté à la mécanique illustre parfaitement cet instant où notre conscience s'éveille.
Cependant, cette prise de conscience n'a de valeur que si elle déclenche une action. Cela peut commencer par de petits changements : des périodes d'ennui volontaire, la redécouverte de la lecture profonde, et la transformation progressive de nos habitudes.
Chaque fois que nous choisissons consciemment où diriger notre esprit, nous reprenons un peu de ce territoire. C'est dans ces espaces reconquis que se développent notre créativité, notre réflexion personnelle et notre liberté.
La bataille pour notre attention est permanente, mais elle n'est pas perdue d'avance.
Quelle partie de votre attention allez-vous reconquérir aujourd'hui ?